Article de Maître SUN Fa (même article au format PDF avec photos)
Comme avant toute pratique physique, il apparaît nécessaire d’échauffer le corps pour réaliser les efforts sans risque et avec le maximum d’effets. Concernant le Taï Ji Quan, le terme de mise en condition est plus adapté vu la spécificité de cette discipline.
Le Taï Ji Quan attire de nombreux adeptes, car cette pratique globale recouvre de nombreux domaines : la santé, le self-défense, l’art, la philosophie en tant que connaissance de soi-même et de l’univers.
Photo 1 : Ouverture du plateau supérieur
Il est issu de la philosophie taoïste qui développe la Voie du Tao dont le principe premier est l’équilibre engendré par la dualité complémentaire du Yin et du Yang. Cette pratique se distingue par l’association de la force et de la souplesse, synthétisée dans la formule : ” une main de fer dans un gant de velours “. Le Taï Ji Quan se différencie ainsi du Qi Gong qui valorise l’interne mais ne comprend pas la dimension martiale, de la danse qui valorise l’esthétique sans prendre en compte les aspects interne et martial et des arts martiaux externes qui accentuent la force externe.
Le Taï Ji Quan est également une pratique de santé physique et mentale. ” Le coeur soigne le corps et le corps soigne le coeur “. En Chine, le coeur est maître de la pensée et maître du corps car il crée l’intention qui guide le mouvement. A l’inverse, comme la gestuelle du Taï Ji Quan est lente et accompagnée par la respiration, les émotions et pensées négatives sont annihilées au profit du calme et de la concentration.
Comme la pratique taoïste qui prône la beauté de ce qui est naturel, le Taï Ji Quan recherche la beauté du geste naturel. L’esprit est calme, détendu, l’attention portée sur les sensations internes ; l’intention guide le mouvement ; le comportement reste sobre, sage, sans concurrence avec les autres.
En Occident, le sport accentue des qualités telles que l’externe, la technicité, la mécanique du mouvement, la matière, l’analyse du geste. Le Taï Ji Quan préfère l’interne, l’expérience, le ressenti, l’énergie, la globalité du mouvement. Le sport met en évidence un état d’esprit tel que : être plus fort que l’autre, entrer en concurrence, être en lutte. Le Taï Ji Quan cherche à : être meilleur, se protéger, s’adapter…
Dans le sport, l’objectif est atteint grâce à une grande dépense d’énergie alors que dans le Taï Ji Quan, l’essentiel est d’économiser et même développer son énergie.
Photo 2 : Fermeture du plateau supérieur
Les particularités techniques du Taï Ji Quan
Le Taï Ji Quan se caractérise par une succession de mouvements lents, souples, tranquilles. Le coeur, la pensée sont calmes et la respiration régulière. Selon la tradition : ” il faut le cœur paisible, le corps habile, le Qi (l’énergie) ramassé, le Jing (la force) synchronisé, le Shen (l’esprit) concentré”.
Le corps dans son ensemble manifeste les principes de la complémentarité du Yin et du Yang :
douceur/force, souplesse / fermeté, courbes / droites, vide / plein, ouverture / fermeture… Les membres expriment les transformations issues des 8 trigrammes par les mains qui montrent 8 modes de frappe. Les pieds, le centre de gravité, l’énergie, l’esprit, se déplacent selon la loi des 5 éléments.
Treize mouvements résument les principes de base du Taï Ji Quan ; ce sont :
– 8 modes: Peng (mouvement de ressort), Lu (tirer), Ji (presser), An (appuyer) et Caï (cueillir, saisir), Lie (fendre), Zhou (coup de coude), Kao (coup d’épaule)
– 5 déplacements : en avant, en arrière, à droite, à gauche et le centre qui représente la position d’équilibre.
Le Taï Ji Quan montre un aspect externe tout de douceur mais beaucoup de force et d’énergie interne. La tactique martiale utilise la souplesse pour vaincre la force et détourner l’attaque.
Le Taï Ji Quan recherche toujours l’équilibre pour désarçonner l’adversaire. L’esprit est calme pour être attentif à soi et à l’autre. Dans le Tui Shou, le pratiquant est à l’écoute de la force de l’autre afin de la détourner, et de son déséquilibre afin de le piéger. Il transforme la poussée de l’adversaire à son avantage, bloque son attaque et lance une offensive en récupérant son énergie.
Dans cette discipline, l’interne et l’externe sont toujours très imbriqués. C’est pourquoi il faut s’attacher à faire des exercices sur les deux plans :
– sur le plan externe : travail des muscles, tendons, peau, articulations,
– sur le plan interne : travail sur Jing, Qi, Shen.
L’énergie est recrutée dans le Dan Tian par un travail interne et le corps doit agir comme un engrenage par une succession de mouvements en spirale pour propager l’énergie et la propulser à l’extérieur si nécessaire.
La coordination doit s’effectuer sur chaque plan mais également entre les deux plans pour obtenir un mouvement juste, efficace, naturel et donc beau par essence.
Le recrutement et la mobilisation de l’énergie proviennent de techniques anciennes :
– de maîtres de Taï Ji Quan : ” Qi Chen Dan Tian ” pour descendre le centre de gravité et trouver la force innée en faisant rouler l’énergie dans le Dan Tian,
– de maîtres taoïstes : ” Dan Tian Nei Zhuan ” pour faire circuler l’énergie sur ” le petit tour du ciel ” et ” le grand tour du ciel “.
Ces techniques sont réalisées grâce à l’intention qui amène l’énergie au centre et la guide dans tout le corps.
Le corps peut être subdivisé en trois niveaux fonctionnels dans lesquels les trois Dan Tian, sur le plan interne, correspondent aux trois Plateaux, sur le plan externe.
Photo 3 : Échauffement de la hanche 1
Photo 4 : Échauffement de la hanche 2
Photo 5 : Échauffement de la hanche 3
1 – Les trois Dan Tian :
1.1 – Le Dan Tian supérieur
Il se trouve au niveau du troisième œil, entre les sourcils. Il est au centre du cerveau et correspond à l’arrière au point ” du Coussin de Jade ” et en haut au point Baï Hui.
L’énergie monte depuis les reins pour tonifier le cerveau.
C’est le siège de l’esprit ; il donne des ordres, il régit l’intention, il maîtrise la circulation de l’énergie. Tout en se mettant en état d’attention seconde. Ce Dan Tian développe sagesse et intelligence du corps et de l’esprit.
1.2 – Le Dan Tian moyen
Il se situe au niveau de la poitrine, au croisement de la ligne des seins et de l’axe central. Il correspond à la fonction vitale de la respiration : il stocke le Qi. Il règle l’énergie du cœur, du poumon et de l’esprit. Il agit sur le système nerveux central par l’intermédiaire des méridiens qui longent la colonne. Celle-ci est une sorte de pont qui transmet l’énergie du haut vers le bas et réciproquement.
1.3 – Le Dan Tian bas
Il se positionne en oblique à l’intérieur du corps, à 1,3 pouce en dessous du nombril. Sa fonction est de concentrer le Qi inné, technique utilisée dans le Qi Gong pour accroître la longévité. C’est le Dan Tian principal qui est utilisé dans le combat. Il permet de développer le Jing des spirales, le Jing des huit portes d’énergie. Il manifeste la force par des poussées invisibles.
2 – les trois Plateaux :
2.1 – Le Plateau supérieur Il correspond à la région de la tête et du haut du thorax jusqu’au
Dan Tian du milieu. Il comprend le cou et les membres supérieurs, soit 5 types d’articulation : le cou, l’épaule, le coude, le poignet, les doigts.
2.2 – Le Plateau moyen
Il correspond à la région du Dan Tian moyen jusqu’au bassin. Il comprend l’articulation de la taille.
2.3 – Le Plateau inférieur
Il correspond aux membres inférieurs et comprend 4 types d’articulation : la hanche, le genou, la cheville, les orteils.
Photo 6 : Reculer en repoussant le singe
Photo 7 : Le serpent qui rampe
Les Plateaux supérieur et inférieur sont synchronisés entre eux, par l’intermédiaire de la taille qui représente le Plateau moyen : l’épaule est synchronisée avec la hanche, le coude avec le genou, la main avec le pied.
Toutes les articulations doivent être ouvertes, détendues, bien alignées.
Elles fonctionnent en harmonie pour enclencher les spirales et propager l’énergie qui est guidée par l’intention. L’interne et l’externe sont donc également synchronisés. L’intention est accompagnée par la respiration qui est fine, longue, lente, régulière. La respiration est abdominale et ressemble à la respiration du fœtus.
La mise en condition : Pan Jia Zi
Selon les objectifs de chacun, il convient de se préparer aux aspects qui seront valorisés : l’équilibre interne pour les exercices de santé ; la souplesse, l’équilibre externe, la beauté pour les compétitions de Tao Lu ; la recherche de l’énergie dans le Dan Tian et la sortie de force pour le Tui Shou et le Sanda.
Des exercices complémentaires peuvent se rajouter pour développer des aspects plus faibles : manque de souplesse des articulations, manque de force dans les jambes, manque d’ouverture du bassin…
1 – Le Dan Tian et le Plateau supérieurs :
1.1 – En interne, le travail de préparation consiste à développer les qualités mentales nécessaires à la pratique : le silence intérieur, la volonté, la concentration, l’intention…
Une maxime met en garde le pratiquant : ” L’intention est comme un cheval sauvage et le cœur comme un gorille. Il faut chercher une corde pour attacher le cheval et une cage pour enfermer le gorille” L’intention est souvent éparpillée et il faut trouver le moyen de la rassembler. Le cœur est dispersé par les émotions qu’il s’agit de maîtriser selon les règles.
Photo 8 : Simple fouet
Lorsque la pratique commence, il faut être présent afin de concentrer l’intention dans le mouvement. En préalable à la forme, une méditation donne cette qualité d’attention.
Elle peut être selon plusieurs modalités :
– méditation debout sans bouger
– méditation sur ” le tour du ciel ”
– méditation en travaillant la vue : rouler les yeux ; fixer le regard et l’intention sur une main qui se déplace (les nuages) ; fixer de près puis de loin…
– méditation dans une posture de Taï Ji Quan avec l’intention placée sur un point d’énergie
– méditation plus martial en plaçant l’intention sur un adversaire ; répéter le nom des mouvements dans l’ordre afin de bien intégrer la forme ; penser aux fonctions des mouvements.
1.2 – Les exercices externes ont pour but d’échauffer chaque partie du corps :
– le cou, pour déraidir cette zone : décrire des cercles avec la tête
– le thorax, pour lâcher les tensions : ouvrir et fermer la poitrine avec les bras effectuant des demi-cercles ; creuser le thorax et rentrer la poitrine en écartant les coudes sur l’avant ou en arrière (Photos 1 et 2)
– les épaules, pour les abaisser et faciliter ainsi la propagation de l’énergie du dos vers les membres. La tête doit rester dans l’alignement et l’intention située sur Baï Hui. Monter et abaisser les épaules, rouler les épaules vers l’arrière puis vers l’avant en gardant les bras le long du corps
– les coudes, pour les abaisser et faciliter les courbes des bras : lever les mains jusqu’au niveau des épaules et laisser retomber les mains au niveau des hanches avec l’intention de relâcher les coudes
– les poignets, pour faciliter les mouvements de spirales et faire circuler l’énergie jusqu’au bout des doigts : décrire des cercles de 360° vers l’extérieur et l’intérieur,
– les doigts, pour envoyer l’énergie jusqu’aux extrémités : ouvrir la main, doigts tendus avec l’intention d’envoyer l’énergie jusqu’au bout ; fermer les doigts en poing que l’on ouvre rapidement en partant de l’auriculaire.
Photo 9 : La grue blanche
2 – Le Dan Tian et le plateau moyens :
2.1 – Exercices internes de respiration :
– poser les deux mains sur le nombril, inspirer en gonflant le thorax et expirer en gonflant le ventre. Ce travail d’échauffement abaisse le diaphragme, stimule les muscles inter costaux, détend les reins : le dos se relâche, le coccyx descend et l’intention se fixe au point Hui Yin
– les 2 mains sur le nombril, respirer dans le Dan Tian, masser la zone en tournant les mains dans le sens des aiguilles d’une montre en maintenant l’intention.
2.2 – Les exercices externes pour échauffer cette zone portent sur la taille : inclinaison du buste dans toutes les directions et rotation de la taille.
Photo 10 : La main Yin Yang 1
Photo 11 : La main Yin Yang 2
Photo 12 : La main Yin Yang 3
Photo 13 : La main Yin Yang 4
3 – Le Dan Tian et le Plateau inférieurs :
3.1 – Travail de l’équilibre avec ressenti du poids du corps : déplacement du centre de gravité et travail d’enracinement par l’intention. C’est l’exercice ” pas vide, pas plein “. Cela peut être concrétisé par des exercices de marche dans toutes les directions : avant, arrière et côtés.
3.2 – Exercices pour échauffer les membres inférieurs :
– les orteils, pour développer la stabilité : ouvrir et resserrer les orteils
– les chevilles, pour reculer suffisamment le centre de gravité dans les mouvements de retrait : flexion, extension, rotation
– les genoux pour les renforcer : flexion, extension des genoux, pieds joints
– les hanches, pour libérer les articulations : lever le genou jusqu’à la taille en équilibre sur une jambe ; lever le genou et ouvrir la hanche à 180 ° en emmenant le genou sur le côté (Photos 3, 4 et 5)
– Il est nécessaire également de travailler la souplesse et le renforcement des membres inférieurs afin de bien descendre sur les jambes ou de donner des coups de pieds. Les pieds doivent être aussi habiles que les mains. On pratique donc des exercices d’étirement, des Pu Bu (descendre le pas) pour développer la souplesse des hanches et genoux. Des techniques externes de Kung Fu peuvent également être utilisées pour certaines pratiques.
Main spirale gauche
Main spirale droite
Exercice selon la tradition style Chen du grand Maître CHEN Fa Ke
4 – Les 3 Dan Tian et les 3 Plateaux ensemble :
Les exercices associent l’interne et l’externe et font travailler la coordination entre les 3 Plateaux :
– La posture de l’arbre, en position statique. Elle peut être une des postures de la forme : posture ” An ” (appuyer), les postures ” reculer en repoussant le singe ” (Photo 6), ” le serpent qui rampe ” (Photo 7), ” le fouet simple ” (Photo 8) ou encore ” la grue blanche ” (Photo 9). Cet exercice a pour objectif de travailler la concentration, la synchronisation des 3 Plateaux dans la circulation énergétique (comment recruter le Qi et l’envoyer sur les membres); il développe la force musculaire et mentale.
– La main ” Yin, Yang ” (Photos 10, 11, 12 et 13)
Cet enseignement de Chen Fa Ke est présenté dans le livre de Gu Liu Xin sur le style Chen 83 mouvements.
Cet exercice traditionnel a pour objectif de guider l’énergie jusqu’au bout des doigts. Il fait travailler les spirales, en activant en même temps la taille avec les mains et le physique avec l’intention. Le mouvement part de la taille, du centre, remonte le long du dos jusqu’à l’épaule pour aboutir au bout des doigts. Cet exercice peut être réalisé avec des variantes, comme des gestes de plus grande amplitude.
– Spirale des jambes, par la posture Gong Bu : poids du corps réparti 60% à D et 40 % à G ou 70 % à D et 30 % à G. Pivoter les pieds vers la gauche, puis vers la droite. Se mettre en Gong Bu à G puis tourner à D en pivotant sur les pieds.
– ” Peng, Lu, Ji, An ” (Photos 14, 15, 16 et 17) : travail de base des 4 portes qui permet de comprendre les 4 principes essentiels du Taï Ji Quan que sont les 4 sortes de Jing (les poussées d’énergie). Travail lent des postures en continu : départ Gong Bu à G. On travaille le corps droit les mouvements Peng, Lu, Ji, An, en spirale. Puis Gong Bu à D.
Pour le pratiquant plus avancé, ce travail permet d’approfondir ses connaissances, d’affiner sa technique.
Cet exercice convient également pour le Tui Shou.
Photo 14 : Les 4 portes : Peng
Photo 15 : Les 4 portes : Lu
Photo 16 : Les 4 portes : Ji
Photo 17 : Les 4 portes : An
En conclusion
La mise en condition dépend du pratiquant : de son physique, de son niveau de pratique, de ses objectifs de pratique, de sa recherche personnelle. Les exercices seront adaptés à chacun.
Dans la tradition chinoise et pour les pratiquants déjà imprégnés de tous ces principes, la forme est abordée le plus souvent directement. L’échauffement se réalise petit à petit en répétant l’enchaînement plusieurs fois afin d’améliorer les capacités physiques et mentales.
Pratiquer l’enchaînement permet également la mise en condition pour le Tui Shou (poussée des mains) et la poussée des mains prépare au Taï Ji Sanda.
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