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Qi Gong : le chemin vers l’intérieur

Article paru dans Génération Tao (avril 1998)

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 Nous nous sommes déjà rencontrés en juin 1997 à l’occasion de la Journée nationale de QI Gong où nous vous avons remarqué, vous et votre fille Wendi.  Au cours de vos démonstrations, chacun a pour ainsi dire pu ” palper ” l’Énergie et en ressentir la puissance. À ce propos quelle est votre conception du Qi ?

 Il existe une multitude de Qi. On peut toutefois distinguer le Qi inné du Qi acquis, le Qi interne et le Qi externe. Nous allons nous intéresser plus spécialement au Qi interne utilisé dans les arts martiaux, si vous le voulez bien.

Le Qi interne est un Qi qui existe chez chacun d’entre nous à la naissance. Il s’appelle Nei Qi et provient de 2 sources :

-le Qi inné, transmis par le père et la mère. Il est produit par les reins et s’appelle Shen Qi.

-le Qi acquis, issu de l’air et des aliments. Il vient de la rate et s’appelle Pi Qi.

Petit à petit au cours de la vie on dépense le Qi inné. Pour le récupérer en abondance, il est nécessaire de développer le Qi acquis.

-Comment travailler le Qi acquis ?

 -On peut distinguer 4 degrés qui commencent par une action plutôt centrée sur le corps matière pour aboutir au corps subtil en accord parfait avec l’Univers. À ce niveau tout devient Naturel.

Tout pratiquant d’arts martiaux doit s’attacher dans un premier temps à acquérir le 1er niveau, qui lui-même se subdivise en 6 étapes :

-La 1ère consiste à pratiquer les exercices de base : travail des positions, des postures, de la détente physique et mentale : être calme, ne pas se laisser envahir par des idées parasites.

-La suivante se définit comme une opération chimique. C’est la réalisation du mélange homogène entre l’Énergie du Ciel et l’Énergie de l’Homme. Pour cela, il faut maîtriser les idées, centrer l’intention sur le Tan Tien, contrôler la respiration (plus fine, plus longue, plus rythmée, plus profonde). Cette énergie chimique permet la naissance du Qi qui agit comme un ” médicament humain ” dit Shing Qi. Il peut tonifier le corps et soigner les maladies.

-La 3ème étape est le ressenti de cette énergie qui se manifeste au niveau du Tan Tien par une chaleur qui roule. Au début on hésite, puis la sensation se fait de plus en plus nette, de plus en plus forte. C’est le signe de la production du ” médicament “.

-À ce moment il faut cueillir, saisir le médicament pour ne pas le laisser s’échapper. C’est par l’intention que s’effectue cette opération.

-Ensuite, il faut entretenir cette activité “. D’abord, comme en cuisine, il est nécessaire d’avoir un feu

vif, et ensuite le feu baisse pour pouvoir durer longtemps. C’est l’expérience qui détermine les besoins. Il faut alors ” fermer le chaudron taoïste “. À ce niveau, le Qi interne circule de lui-même. On ferme les 3 portes : nez, bouche, oreilles, pour obtenir le calme. La respiration utilise le moins d’énergie possible. Le rectum est toujours en position levée, la langue touche le palais pour permettre la communication entre les méridiens Du et Ren, les yeux sont fixes. Concentration mais sans crispation, c’est là la clé de cette étape. En Chine on dit ” baisser les 6 émotions, ignorer les 6 vices “. Ainsi la racine de la vitalité est fixée, fermée, saisie.

-L’ultime étape consiste à purifier, raffiner le médicament. Pour cela on utilise l’inspiration pour ramasser et l’expiration pour épurer. Le Qi inné qui vient de la Terre par le Tan Tien monte à contrecourant jusqu’au Ciel symbolisé par la tête. Il devient la rosée sucrée, bienfaisante, suave, qui retombe dans la bouche. En mouillant avec la salive, cette substance est déglutie pour retourner au Tan Tien qu’on appelle aussi le Palais du Milieu.

Ces 6 exercices constituent le petit cycle du Tour du Ciel correspondant symboliquement à un jour.

De quelle manière travaillez-vous le développement de l’énergie dans les arts martiaux ?

 Quelle que soit la discipline, Kung Fu, Taï ji quan, Qi Gong, ainsi que dans les arts comme la calligraphie, la peinture, le massage qui nécessitent un travail sur l’énergie, il est essentiel de connaître les techniques de base.

C’est la condition sine qua non sur laquelle j’insiste énormément auprès de mes élèves. Il ne faut pas brûler les étapes. Chaque niveau doit être assimilé, imprégné dans le corps et non pas se limiter à la seule connaissance intellectuelle. Cela nécessite du temps, du courage, de la persévérance et la répétition des exercices de base est le seul moyen d’atteindre le but.

Dans mes cours, qu’ils soient collectifs ou individuels, je m’attache à équilibrer 2 domaines : Bo Qi et

Hun Qi. Pour chacun ou à chaque cours le contenu est différent. Cela relève de ma compétence et de ma sensibilité d’adapter mon cours aux besoins du moment.

Bo Qi vise à développer les qualités physiques : une bonne circulation des systèmes cardio-vasculaire

et cardio-respiratoire, ainsi qu’une tonicité musculaire suffisante.

Dans les arts internes -Bagua, Taï ji, Qi Gong, Kung Fu Shaolin- l’harmonie entre le microcosme et le macrocosme se réalise au travers des 3 niveaux du Triple Réchauffeur :

-le plateau du Ciel (tête, thorax supérieur, membres supérieurs)

-le plateau du Centre (thorax inférieur, taille abdomen)

-le plateau de la Terre (bassin, membres inférieurs)

J’ai constaté qu’en Occident, on travaille surtout au niveau du plateau du Ciel. Alors que pour développer l’énergie à ce niveau, il faut avant tout acquérir un bon enracinement.

Dans les Arts Martiaux, l’énergie au niveau des jambes est primordiale pour obtenir une maîtrise suffisante. Dans un livre de médecine traditionnelle chinoise intitulé : “Nei Jing”, il est dit également que le Qi de l’enfant est dans les pieds. Cette importance du plateau inférieur se retrouve chez la personne âgée qui a besoin de reposer ses pieds pour recouvrer son énergie. En effet, le corps commence à s’affaiblir par les membres inférieurs.

C’est pourquoi, le massage des pieds est préconisé pour détendre, ré-énergétiser et ralentir le processus de vieillissement. Il est connu que la carte des organes est inscrite sur la plante des pieds.

Donc toute action à ce niveau retentit sur le corps tout entier. C’est par une véritable prise à la Terre, que l’énergie peut monter jusqu’au Ciel, au travers des différents plateaux.

Hun Qi vise plutôt à développer les qualités plus subtiles : sensibilité, vigueur, rapidité, clairvoyance, intention

Dans les arts martiaux l’enseignant s’attache à développer ces 2 Qi différents mais complémentaires.

 

On retrouve souvent le mot “intention”dans vos propos. Quelles sont ses fonctions ?

 -L’intention -ou Yi- est la conscience qui guide et qui produit réellement de l’énergie. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Je raconte souvent à mes élèves des histoires qui illustrent cette vérité, comme celle-ci :

Une armée se déplace pour se rendre jusqu’au terrain de bataille. Assoiffés, certains hommes commencent à faiblir. Le général apercevant de la verdure au loin a soudain l’idée d’annoncer que des pruniers poussent à proximité. En entendant cela, les soldats voient déjà les prunes à leur portée et commencent à saliver. La soif disparaît et ils arrivent ainsi aisément à leur but.

Un proverbe résume cette histoire : ” Quand on pense à une prune, on n’a plus soif “.

A l’inverse, si l’intention est mal guidée, des effets négatifs peuvent en résulter.

Écoutez cette autre histoire : Une personne ayant la phobie des serpents voyait partout ces animaux, en particulier dans sa tasse de thé. Il en était perpétuellement malade, jusqu’à ce qu’il se rende compte que le serpent était le reflet de l’arc pendu au mur de sa maison.

J’insiste toujours sur le fait qu’il faut être bien guidé dans les pratiques énergétiques pour que l’effet soit bénéfique.

Dans le Qi Gong, l’intention vise l’effet thérapeutique. Mais veillez à ce qu’elle soit bien dirigée sinon elle peut s’avérer négative. En voici l’illustration : un patient, atteint d’un cancer avancé, se rend à

Shanghai pour se faire soigner. Mais le chirurgien, devant la gravité du cas, décide en cours d’opération de ne pas intervenir, sans rien en dire au patient. Celui-ci repart dans sa province, persuadé que l’opération est réussie et qu’il est guéri. Il est en parfaite santé pendant 2 ans et décide de faire un grand banquet pour remercier son médecin. Celui-ci, alors, par honnêteté, lui dévoile la vérité. En prenant connaissance de la situation, notre homme retombe malade et décède en 3 semaines.

Dans le Qi Gong, la personne doit se mettre dans un état positif par rapport à elle-même et à l’Univers. L’intention Yi est sans forme, sans son, sans odeur. Il se cache dans l’esprit. On ne peut pas le toucher mais on peut le guider à l’intérieur de soi.

Il n’a pas de forme mais toutes les formes naissent du Yi. L’intention prenant la décision du comportement est obligatoirement présente dans la forme du mouvement extérieur.

Yi commence par le coeur et finit par le mouvement.

Par exemple dans le Taï ji quan, l’intention amène le Qi dans le Tan Tien puis dans les pieds par les méridiens Yin, remonte ensuite dans les méridiens Yang jusqu’au dos entre les omoplates pour se transmettre jusqu’aux mains ou aux autres parties du corps selon le but désiré. Cela aboutit à un mouvement plus subtil, car il ne s’agit pas que d’un déplacement physique, mais énergétique qui se traduit par une sensation d’harmonie intense. On sent que le mouvement peut aller toujours plus en profondeur jusqu’au centre ” exquis ” d’une spirale qui se redéploie en sens inverse. Il témoigne ainsi d’une communication entre le macrocosme et le microcosme.

Pratiquer dans cet esprit facilite la coordination du corps et la coordination entre l’interne et l’externe.

Le mouvement est alors ressenti comme juste et beau.

C’est ce qui m’a amené personnellement à travailler l’esthétique du geste par le biais d’un autre art : lacalligraphie. L’intention est également présente chez le calligraphe. Celui-ci visualise son œuvre avant de la réaliser afin que l’énergie se perçoive dans les caractères et les associent en une expression vivante.

-Comment se réalise le travail du Qi dans la calligraphie dont vous parlez, ainsi que dans d’autres techniques énergétiques comme le massage ?

 -Pour transmettre le Qi le calligraphe doit aussi porter attention à son attitude, pour amener l’énergie de son enracinement jusqu’à la pointe du pinceau. Le Qi est transmis sans relâchement depuis le début jusqu’au dernier trait. L’œuvre est ainsi réalisée en un seul souffle : “Yi Qi He Cheng”.

Une œuvre de haut niveau révèle un cœur sincère, pénétré par ce travail du Qi. Tout comme lors d’un exercice de Qi Gong, le calligraphe ressent les bienfaits de son travail par la chaleur qui circule dans son corps. En plein hiver, sans chauffage, comme en plein été, il peut réguler sa température interne, en équilibrant les fonctions du Yin et du Yang. Grâce à cela il conserve un bon mental, une bonne santé menant à la longévité.

En ce qui concerne la médecine chinoise : massage, acupuncture, le soin se pratique sur les méridiens énergétiques. Le soignant doit adopter également une position juste pour transmettre l’énergie de la Terre jusqu’au patient. Il doit se charger lui-même en énergie, se centrer et se concentrer avant de commencer le soin, puis se recharger éventuellement après celui-ci. Le soin a pour but de débloquer le Qi du patient et ainsi de rétablir le circuit énergétique. Le patient ressent souvent une sensation de décharge électrique et de chaleur.

Issu d’un père médecin, j’ai pu me rendre compte très jeune de l’application de ces principes et voir la permanence de l’action du Qi dans des domaines en apparence très différents. C’est pourquoi j’ai voulu en plus parfaire mes connaissances dans ces techniques de soin.

-Au travers de tout ce que vous nous avez dit, nous avons l’impression qu’un même principe sous-tend ces différentes pratiques. Pouvez-vous nous en parler ?

-En effet, pour bien maîtriser le Qi, il fait avoir la connaissance philosophique du Yuan Tao, qui représente le principe du cercle.

À l’origine l’Univers n’est constitué que de particules en mouvements anarchiques. Petit à petit, une organisation cosmique se met en place. Ainsi naît le Taï ji ou principe premier. Il comprend les 2 composants Yin et Yang qui alternent sans arrêt. Pour illustrer ce phénomène, les Chinois disent qu’il n’y a pas de positif sans négatif, pas de pente sans terrain plat, pas d’aller sans retour, quand le soleil

se couche la lune se lève, le printemps chasse l’hiver, etc.. Tout tourne éternellement selon le principe de ce cercle, qui se manifeste également dans le corps.

Cette connaissance permet de mieux guider le Qi et de réaliser le lien entre le microcosme et le macrocosme. Ainsi les méridiens sont comme des anneaux reliés longitudinalement et transversalement. Ceux-ci communiquent étroitement avec les organes et les viscères, réalisant une unité organique qui elle-même obéit à la loi des 5 éléments. Cette loi met en évidence le lien des organes entre eux, sans prédominance de l’un sur l’autre, dans un mouvement perpétuel d’engendrement et d’extinction.

Les exercices doivent tenir compte du temps, de l’heure, des saisons, et de tout ce qui touche les sens : couleurs, sons…reliant le corps de l’homme à l’Univers afin de puiser l’élément Yin ou l’élément

Yang qui lui manque.

En conclusion, j’insiste sur le fait qu’il faut une pratique régulière et persévérante, pour arriver au but, quelle que soit la technique énergétique pratiquée.

J’encourage tous mes élèves à suivre cette voie. J’ai reçu l’enseignement de grands maîtres et je m’applique à mon tour à transmettre ces connaissances précieuses le plus fidèlement possible.

Mon prénom, Gen Fa, signifie “Racine” et “Développer” et m’a prédestiné à faire fructifier cet héritage et à le diffuser même au-delà des frontières de la Chine.

 

 

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